Poulets de LOUE, une publicité drôle.

mercredi 17 septembre 2014

Interrogé sur la réaction d’un ancien ministre sur une publicité par les Plus du Nouvel Obs, nous considérons que l’humour justifie de petites moqueries, à l’image du Gendarma incarné par Louis de FUNES dont on célèbre le 100 ème anniversaire de la naissance.

Publié le 04-08-2014 à 17h39 - Modifié à 19h30
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1229502-estrosi-en-guerre-contre-les-poulets-loue-louis-de-funes-est-alle-beaucoup-plus-loin.html#

Estrosi en guerre contre les poulets Loué : Louis de Funès est allé beaucoup plus loin !

LE PLUS. Christian Estrosi n’apprécie pas la nouvelle campagne des poulets Loué. Sur les affiches, on y voit un gendarme souriant, muni de jumelles de contrôle de vitesse. Le maire de Nice s’insurge sur Twitter contre ce "dénigrement" à l’encontre des forces de l’ordre et parle de "discrédit" pour l’autorité de l’État. Ses arguments tiennent-ils ? Analyse de Me Gilles Buis, avocat spécialisé dans la publicité.

Tweet de Christian Estrosi concernant la dernière campagne publicitaire des poulets Loué. (Capture Twitter)

Non, face à cette campagne Loué, on ne peut pas à proprement parler de dénigrement dans la mesure où il ne s’agit pas de concurrence déloyale (qui est une faute à l’égard d’un concurrent), mais d’une communication publique qui prend à parti non pas une entreprise ou un consommateur, mais un corps de métier.

Christian Estrosi se trompe dans ses accusations. Cette affaire n’est pas du dénigrement, qui se réfère au droit commercial, mais plutôt du droit de la communication publique qui relève du droit de la presse.

Estrosi se trompe d’accusation

Ce n’est pas la première fois qu’un politique ou un législateur confond les notions de dénigrement et de diffamation. La loi pour la confiance dans l’économie numérique, par exemple,qui a transposé la Directive européennes sur le commerce électronique est soumise en France au droit de la presse dont relève la diffamation alors qu’elle devrait à mon avis relever du droit commercial auquel se rattache le dénigrement. Preuve que la confusion est assez courante.

D’un point de vue juridique, la jurisprudence considère qu’il n’y a pas dénigrement s’il s’agit d’une utilisation humoristique et caricaturale de l’entreprise.

Dans le cas présent, nous sommes donc le cas échéant, soumis au droit de la presse. Il est vrai que la publicité pourrait alors être considérée comme une diffamation. Et plus précisément, comme une atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne ou du corps, ici les gendarmes, pour des faits non précis (article 29 al.2 de la loi du 29 juillet 1881).

Louis de Funès a été plus moqueur à l’égard des gendarmes que Loué

Je suis personnellement très sensible à l’humour et je ne considère pas que voir des gendarmes avec des jumelles de contrôle de vitesse pour "approuver" des poulets soit une atteinte à la profession.

J’ai écrit à la société Loué pour demander de retirer cette campagne contribuant au dénigrement des forces de l’ordre pic.twitter.com/9y5KQZIf8c
— Christian Estrosi (@cestrosi) 1 Août 2014

Que faudrait-il alors penser des films avec Louis de Funès se moquant allégrement la profession de gendarme ? L’image cinématographique de la série des années 1960 était bien plus incisive que cette simple campagne publicitaire.

Loué n’en est pas à son premier coup d’essai et a fait de cette figure du gendarme son fonds de commerce. Ce genre d’affiche n’est donc pas surprenant.

Les notes d’humour, la publicité adore

De tout temps, la publicité a apprécié les notes d’humour. C’est très courant et ça continuera aussi longtemps que vivra la publicité.

Je me rappelle d’Orangina qui avait lancé sa campagne sur des boissons sans sucre. Il y avait notamment une publicité télévisée d’Orangina où l’on voyait les personnages composant le produit entrer sans problème dans la boîte de nuit, alors que les sucres étaient recalés à l’entrée.

À l’époque, le syndicat professionnel des industries du sucre (Cedus) avait crié au scandale car il estimait que cette acquisition humoristique était une atteinte à leur profession et qu’elle avait des répercussions économiques dramatiques. Ils avaient gagné, et la publicité avait été retirée. La qualification avait été retenue.

Difficile d’exiger un retrait des affiches

Christian Estrosi parle également de "discrédit" vis-à-vis de l’autorité de l’État. Un argument qui aurait pu tenir la route s’il y avait atteinte à un corps de métier. Ce n’est pas le cas.

Le maire de Nice aurait pu évoquer une atteinte à la déontologie - notion plus appropriée que la loi dans le domaine de de la publicité - mais le retrait d’une campagne d’affichage est relativement rare.

Enlever les affiches du circuit demande un délai assez conséquent alors qu’une campagne publicitaire ne dure en règle générale qu’une ou deux semaines. Les instances professionnelles (ARPP ou Jury de Déontologie de la Publicité) demandent alors de ne pas la reprendre par la suite, ou de la modifier.

Je me souviens d’une publicité Sloggi où l’on voyait de très jeunes femmes en sous-vêtements et talons hauts tenant une barre verticale. Un ministre scandalisé avait demandé le retrait des affiches à l’instance déontologique (le bureau de la vérification de la publicité - BVP). Mais d’une part, celui-ci n’en avait pas le pouvoir, d’autre part, les retombées de la campagne avaient été tellement positives que l’annonceur n’avait pas souhaité la retirer spontanément.

Il n’y a aucun mal à faire du buzz

Si le maire de Nice tient véritablement à aller devant les tribunaux, les sanctions encourues par l’entreprise Loué se limiteraient, à défaut d’un caractère d’urgence qui seul justifierait un référé, à une amende de quelques milliers d’euros.

Le maire de Nice n’a par ailleurs pas qualité pour agir car il n’est pas aujourd’hui en fonction au sein du gouvernement. Il a beau être dans le champ de ses valeurs politiques, il est peu probable qu’il soit en mesure d’agir contre la campagne publicitaire de Loué.

Dans cette affaire, chacun joue son buzz.

Christian Estrosi en tant que défendeur des services de l’ordre ; Loué en tant qu’entreprise qui communique. Il n’y a aucun perdant dans leurs démarches respectives. L’important est de rester à un niveau d’humour acceptable.

Une proposition de loi serait malvenue

M. Estrosi évoque une future proposition de loi, or ce texte existe déjà.

Il s’agit encore une fois de l’article 29 al 2. de la loi de juillet 1881 sur la liberté de la presse signalant que : "Toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure."

Voter un nouveau texte serait particulièrement nuisible puisqu’il ne ferait qu’aggraver la confusion entre dénigrement et atteinte à l’honneur d’une personne.

Le mieux serait peut-être de s’en remettre à l’appréciation des instances d’autorégulation qui ont prouvé leur indépendance.

Propos recueillis par Louise Auvitu